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Les jeux de pouvoir dans l’organisation (Michel Crozier)

Dans son livre Le Phénomène Bureaucratique (1964), Michel Crozier étudie le fonctionnement et les dysfonctionnements des systèmes bureaucratiques à travers notamment la SEITA (aujourd’hui Altadis) qui était à l’époque le détenteur du monopole exclusif de la culture, de la fabrication et de la vente de tabac et de cigarettes. Dans cette entreprise publique, l’organisation est structurée par les relations de pouvoir existant entre les différents acteurs. Celles-ci ne reproduisent pas l’organigramme, mais reposent sur des schémas implicites, notamment la maitrise des « zones d’incertitude ».

Le fonctionnement au sein de la SEITA : Une relation à 3 acteurs dans une organisation a priori bureaucratique…

Michel Crozier prend l’exemple de l’atelier de fabrication où l’on distingue les acteurs suivants :

  • Les ouvriers de production sont en bas de la pyramide de pouvoir : ils suivent les directives du chef d’atelier et sont dépendants de l’ouvrier d’entretien car ils ont besoin de lui pour réparer leur machine (il leur est interdit de réparer eux-mêmes leurs machines).
  • Le chef d’atelier exerce son autorité sur les ouvriers de production mais est dépendant de l’ouvrier d’entretien car lui seul peut réparer les machines et débloquer les situations si elles sont bloquées. Le chef d’atelier est le détenteur de l’autorité rationnelle légale et pourtant, il est « à la merci » de l’ouvrier d’entretien en cas de panne.
  • C’est donc l’ouvrier d’entretien (le technicien de maintenance) qui a un immense pouvoir dans l’entreprise car il est le seul à pouvoir réparer la machine. Michel Crozier insiste beaucoup sur sa maîtrise de la technologie. L’ouvrier d’entretien maîtrise également le temps d’arrêt de la machine car il maîtrise le temps avant réparation et pendant réparation. Si l’on respectait la voie hiérarchique, le chef d’atelier devrait être son supérieur mais ses compétences le placent au-dessus et le chef d’atelier n’a pas vraiment de pouvoir sur l’ouvrier d’entretien. L’ouvrier d’entretien s’entend mal avec les ouvriers de production car il a le même statut qu’eux (sur le papier), mais a un pouvoir que les autres n’ont pas (réparer leurs machines) qui rend les ouvriers de production dépendants de lui. Ce n’est donc pas la hiérarchie qui fixe le fonctionnement de l’atelier, mais les compétences et le pouvoir. Les ouvriers de production n’ont aucun pouvoir : ils subissent.

Les règles fixées par l’organisation ne sont pas suivies. L’équilibre des jeux de pouvoir dans l’organisation se fait dans le rapport de pouvoir entre le chef d’atelier et l’ouvrier d’entretien, au détriment du chef d’atelier.

La SEITA est l'organisation étudiée par Michel Crozier dans le cadre de ses études sur le "fonctionnement réel" de l'organisation.
La SEITA (aujourd’hui Altadis, ex-détenteur du monopole étatique de la culture, de la fabrication et de la vente de tabac et de cigarettes) est l’organisation étudiée par Michel Crozier dans le cadre de ses études sur le « fonctionnement réel » de l’organisation.

…mais où le fonctionnement « réel » de l’organisation est largement déterminé par les jeux de pouvoir entre les acteurs

Le fonctionnement « réel » de l’organisation se fait via des dysfonctionnement entre les acteurs, les comportements et les zones d’incertitude. En effet, les acteurs de l’organisation ont chacun leur stratégie qui leur est propre : ils utilisent l’organisation pour mettre en œuvre leur stratégie car les objectifs de l’organisation ne sont pas clairs (ils sont multiples, ambigus, contradictoires, imprécis) ou ne leur conviennent pas, d’où des dysfonctionnements.

Les acteurs peuvent être passifs et peu déterminés (ils suivent le mouvement) comme c’est le cas pour les ouvriers de production. Ils peuvent à l’inverse être offensifs comme l’ouvrier de la maintenance ou défensifs comme le chef d’atelier qui minimise les dégâts faits à l’encontre de son pouvoir. Les comportements sont donc vagues. La zone d’incertitude regroupe tout ce qui n’est pas défini par avance. À partir du moment où il y a des non-dits, où les choses ne sont pas claires (comme pour le cas du chef d’atelier qui n’a pas de pouvoir clairement défini), les individus peuvent en profiter (comme le fait l’ouvrier de maintenance). Un système est un ensemble d’éléments en interaction qui sont dépendants des uns des autres et qui agit directement sur le fonctionnement de l’organisation. Ici, chacun s’est octroyé un rôle et s’adapte en fonction de ce qu’impose l’ouvrier technicien.